le télétravail

 

 

 

Est-ce «cool» de bosser chez soi?

 

La seule mesure d'efficacité, c'est le résultat obtenu, d'où une productivité forcément accrue.

«Un pacte quasi faustien lie les salariés français à l'entreprise, estime Pierre Hurstel, directeur de la stratégie des ressources humaines chez Ernst & Young. Je te donne toutes mes heures, et tu ne vérifies pas trop ce que je fais.» Ce type de contrat n'a pas cours vis-à-vis des salariés qui travaillent chez eux. A moins d'installer une webcam ou de téléphoner sans cesse, difficile de vérifier à chaque instant ce que fait le salarié chez lui. La seule mesure de son efficacité, c'est le résultat. «On cherche moins à savoir comment les choses sont faites qu'à évaluer la satisfaction des clients», admet Pascal Robez, directeur général de MRO Consultants France.

Côté salarié, obsession de la productivité et culpabilité sont les leitmotiv. «On craint d'être soupçonné de ne rien faire, alors on en fait encore plus», assure Catherine Flageul. «On ne pense même pas à faire de pause», dit Valérie Jaumouillé, infographiste dans une agence de communication. Salariés et employeurs sont en tout cas unanimes: on est plus productif chez soi.

«J'évalue le gain de productivité lié au travail à la maison de 15 à 30 % selon les activités». Muriel Bourgeois, responsable de l'équipe informations brevets chez Thomson, télétravailleuse.

 

Fait-on ce qu'on veut de son temps?

L'important est que le travail soit réalisé et les délais respectés. Le plus souvent employeur et salarié s'entendent sur des plages horaires où ils sont joignables.

Deux questions en une: quelle répartition du temps adopter entre bureau et domicile pour ceux qui ne télétravaillent qu'une partie du temps, et quels horaires quand on est chez soi? Du point de vue contractuel, tous les cas existent. Si les jours de présence au bureau sont précisés dans le contrat, toute modification doit être mentionnée par écrit. Quant aux horaires, selon la fonction exercée, certains salariés doivent impérativement être à leur poste aux heures fixées dans leur contrat, d'autres jouissent de la plus totale liberté, du moment que les tâches prescrites sont réalisées en temps et en heure. Sébastien Jubeau, consultant informatique au coeur du Vercors, skie à l'heure du déjeuner et part en week-end le vendredi midi. Le plus souvent, employeur et salarié s'accordent sur des plages horaires pendant lesquelles ils restent joignables.

«S'il doit s'absenter un moment, il prévient, affirme Pascal Robez, de MRO Consultants, à propos de son directeur de projet, Jean-Marie Desaunay, qui travaille chez lui à Toulouse alors que le siège est à Marne--la-Vallée. La confiance est à ce prix.»

Comment garder le contact avec sa boîte?

Se parler au téléphone et communiquer par e-mail est indispensable pour garder le fil. Mais il faut aussi venir sur place régulièrement.

La crainte de se retrouver coupé de la vie de l'entreprise taraude les salariés isolés chez eux. «A fortiori quand on habite à des centaines de kilomètres!», lance Thomas, parti vivre dans le sud-ouest de la France tout en conservant son poste de webmaster dans une PME parisienne. Heureusement, les nouvelles technologies sont là... «Chaque matin, j'envoie un e-mail à mes collègues pour leur dire "coucou" et papoter, comme on ferait devant la machine à café.

     

 

De leur côté, ils me racontent ce qui se passe dans la boîte, des décisions stratégiques aux potins. Avec mes chefs aussi, j'entretiens des contacts par e-mails: certains sont purement professionnels, d'autres pas.» Se parler, c'est important aussi. «Pour discuter de certains sujets, il n'y a rien de mieux que le téléphone», estime Frédéric Huignard, chargé d'affaires au sein d'un groupe de communication financière. Enfin, tout télétravailleur le sait: il y a du vrai dans l'adage «Loin des yeux, loin du coeur».

Pour garder vivants ses liens avec les autres personnes de l'entreprise, il faut quitter ses pénates pour venir les voir. Au moins une fois par semaine!


Quel avantage pour l'entreprise?

Le partage des bureaux qui permet de réduire les surfaces nécessaires n'est pas encore vraiment rentré dans la pratique. Le télétravail permet surtout au cas par cas de conserver un collaborateur auquel on tient.

D'après une étude du Gartner Group, les sociétés américaines employant des salariés à domicile économiseraient 10 000 dollars de frais de bureau par an et par salarié! Ce chiffre s'explique principalement par la réduction des surfaces de bureaux. Les jours et heures où les télétravailleurs viennent au siège sont prédéfinis, et ils partagent un bureau à plusieurs.

«En France, la situation est très différente, constate Nicole Turbé-Suetens. La plupart des entreprises qui pratiquent le télétravail s'y aventurent au cas par cas, pour garder des collaborateurs auxquels elles tiennent ou convaincre un oiseau rare de les rejoindre. En général, elles rechignent à instaurer un partage des bureaux. Les principaux gains proviennent donc de la meilleure productivité des collaborateurs concernés. De nombreuses études s'accordent à l'évaluer à 20 % environ. C'est déjà bien...

Mais si cela ne concerne que quelques individus dans l'entreprise, l'impact en euros sonnants et trébuchants reste limité!»

Le Danemark est le champion européen du télétravail. Les partenaires sociaux y ont négocié un accord-cadre touchant 25 % de la population active, tandis que le gouvernement accorde un avantage fiscal aux entreprises qui donnent un ordinateur à leurs salariés. Ces derniers sont autorisés à l'utiliser pour un usage professionnel, ce qui n'est pas le cas en France quand le fisc accorde des avantages comparables.

 

Que dire aux autres salariés?

Il est très important de garder la transparence dans le mode d'organisation et d'expliquer clairement aux autres les raisons pour lesquels un collaborateur travaillera désormais à son domicile.

«Il y a six mois, Marc, notre économiste, est venu me donner sa démission en me disant qu'il partait vivre à Nice, raconte un promoteur immobilier. Comme c'est un super professionnel, je lui ai proposé de continuer à travailler pour la société depuis son domicile. Mais j'ai dit aux autres salariés que je ferais désormais travailler un économiste indépendant. S'ils apprenaient la vérité, certains pourraient être jaloux de Marc... ou me demanderaient de travailler chez eux alors qu'ils ne sont pas faits pour cela ou que leur boulot ne s'y prête pas!»

Ces craintes rejoignent celles exprimées par beaucoup de chefs d'entreprise. Faut--il pour autant pratiquer le télétravail en catimini? «Non, affirme Nicole Turbé- Suetens. Ce qui est dissimulé alimente les fantasmes! L'entreprise doit clairement dire que ce mode d'organisation existe, et que Untel et Unetelle télétravaillent. Les employeurs qui autorisent des salariés à travailler à domicile n'ont pas à en rougir, au contraire. Alors, qu'ils l'assument!»

 

 

 

 

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