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[TIMESCAPES]

  • 3 février de 2023
Ciutat
Alexandre Melay, [TIMESCAPES] A four dimensional space Woodland – Hong Kong.

Alexandre Melay

« La globalisation commence comme une géométrisation de ce qui n’est pas mesurable ». (Sloterdijk, 2010, p. 41)

Les photographies de la série [TIMESCAPES] portent un regard engagé vers la soif de domination que l’être humain produit sur son environnement, et qui ne cesse de définir ce début de XXIe siècle. Ces questionnements demeurent propres à l’extrême contemporain, avec l’impossibilité du paysage et la crise de l’urbanité, l’émergence de non-lieux et la tentative pour inventer des lieux où vivre, face à l’implacable déconstruction structuraliste du sujet. Le capitalisme, né de l’ère Anthropocène, ce « Siècle de l’Homme » initié avec la Révolution industrielle, a investi notre langage visuel dans lequel tout un imaginaire urbain s’est structuré, construit, architecturé, et où s’institue un système ayant recours à la réalité et à la fiction, entre réalité sociale et imaginaire poétique, entre documentaire et fiction. Un système dont les espaces-mondes créent des formes particulières, des formes esthétiques qui deviennent les cadres privilégiés de fictions représentatives de l’espace contemporain. En d’autres termes, cet extrême urbain contemporain né du Capitalocène se traduit par une urbanisation galopante de la planète, où les villes-mondes finissent par définir à elles seules de nouvelles formes de l’urbain. Tous ces non-lieux photographiques désignent des espaces-mondes, ce sont des images de territoires qualifiés d’intermédiaires ou d’intercalaires. À la fois constructions ou déstructurations démultipliées de l’environnement urbain, ces images donnent à voir un système particulier, celui d’un appareil de capture et de distribution des flux. Il s’agit de l’illustration de la technosphère qui désigne la partie physique de l’environnement affecté par les modifications d’origine anthropique, c’est-à-dire la totalité des constructions d’origine humaine, des premiers outils jusqu’aux dernières avancées technologiques, en passant par les infrastructures, les marchés industriels, les différents moyens de transport et l’ensemble des produits transformés. C’est ainsi que les changements de la Terre deviennent le reflet des changements de nos sociétés humaines.

Ces espaces en mouvement perpétuel illustrent aussi le phénomène de l’accélération du temps et de ces dérives, sur des territoires en transformation constante, où l’éternité se manifeste uniquement à travers le changement ; puisque sans mouvement, il semble qu’à l’ère du Capitalocène, il n’y a point de devenir. Les effets extrêmes de la mondialisation redessinent ainsi aujourd’hui des centaines de villes ; vitrine du capitalisme débridé, ce qui surprend, c’est ce chaos constant dans chaque ville ; une révolution urbaine faite de constructions qui imposent une ségrégation socio-spatiale, entre densité et verticalité de l’urbanisme. Vision d’une croissance urbaine incontrôlée et abstraite, où chaque ville devient globale, mouvante et en perpétuel changement, prit dans le rythme effréné incontrôlable de l’urbanisation imposée par la globalisation du capitalisme. Les photographies aux compositions à la domination géométrique tendent vers l’abstraction, où les conditions de définition de l’abstrait sont la caractéristique même de l’accélération du monde ; car l’abstraction de la mondialisation et la rationalité du capitalisme représentent l’abstraction de la réalité matérielle associée aux échanges mondiaux dans laquelle le capital a atteint sa dématérialisation ultime. Une abstraction et une géométrisation de l’espace qui révèlent la prédominance de la pensée rationalisée, la grille étant un point d’appui dans une économie axée sur des procédures standards optimisées ; un dispositif formel qui devient l’un des symboles des principes de la raison instrumentale et de l’efficacité économique. En effet, la grille structure et (ré)actualise les relations avec les environnements, et ce faisant les rapports au monde. En installant un espace plat, lisse et infini, et alors même que l’être humain ne semble toujours pas s’inquiéter de son destin catastrophique dont il est l’obstiné bâtisseur, les distances disparaissent, chaque position en vaut une autre, les différences culturelles s’estompent, l’individu finit par être aliéné et sa sociabilité appauvrie. Face à cela, l’urgence est de stopper les logiques de destruction qui sont à l’œuvre sur la planète, afin de réinventer la cohabitation du vivant à travers des mondes multiples et enchevêtrés, pour ainsi dépasser la tension entre l’environnement et l’être humain.

Alexandre Melay

Docteur en arts, esthétique et théorie des arts contemporains de l’Université de Lyon et artiste-chercheur diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon. Enseignant-chercheur à l’université d’Aix-Marseille, il consacre ses recherches aux esthétiques, aux imaginaires et aux expériences de l’Anthropocène. Son travail photographique interroge les espaces-temps anthropiques, les formes de modernité ou les phénomènes de mutations spécifiques à l’ère de la globalisation en abordant les thématiques et les problématiques symptomatiques de notre époque contemporaine où se mêlent le réel et le fictionnel.
Website : alexandremelay.com